La semaine dernière, Cassandra évoquait en commentaire d’une vidéo YouTube la plume coudée. Je suis certaine que vous avez déjà vu sur Instagram des calligraphes utiliser ce genre d’instrument. Alors dans cet article, je vous explique ce qu’est une plume coudée, pourquoi elle a été inventée & dans quel contexte s’en servir !
Si vous ne me connaissez pas encore, je suis Noémie Keren, calligraphe près de Saint-Émilion et sur cette chaîne je partage mon amour pour la calligraphie et son histoire.
Si vous préférez regarder la vidéo sur ce sujet, c’est par ici !
Qu’est-ce qu’une plume coudée ?
Une plume coudée (aussi appelée plume baïonnette ou plume oblique) est une plume dont le bec est orientée en diagonale par rapport au porte-plume. J’ai trouvé plusieurs arguments à l’origine de cette invention :
– ce bec désaxé lui donnerait plus de souplesse que les plumes droites (Objets d’écritures, Eric le Collen)
– ce décentrage du bec par rapport au talon permettrait une meilleure visibilité du mot que l’on est en train d’écrire (Les instruments de l’écriture, Bernard Robert)
– elles auraient permis de mieux accéder aux marges intérieures des cahiers, impossible de retrouver la référence où j’ai lu ça, alors si à tout hasard vous êtes tombé sur la même source, je serai vraiment heureuse que vous la glissiez en commentaire pour la retrouver ! C’est le problème quand on passe son temps à faire des tonnes de recherches sur un sujet, parfois le cerveau sature & on ne mémorise plus l’origine de l’information…
Origine de la plume coudée
Je ne vais pas ici aborder toute l’histoire de la plume métallique, cependant si le sujet vous intéresse, dîtes le moi dans les commentaires de la vidéo, je serais heureuse d’en réaliser une dédiée à ce sujet.
Je ne peux tout de même évoquer ces plumes si atypiques sans vous parler des modèles qui ont jalonné son histoire. Il me semble que les plus célèbres aux alentours des années 1850 sont la « Baïonnette » de la marque Bagnol et Farjon, ainsi que la « Zig-Zag » de Blanzy-Poure. Dans l’ouvrage Objets d’écritures, on voit également deux modèles proposés par la marque Mallat : 22 E.F. & 22 F ; qu’on peut interpréter comme extra fine & fine.
De nos jours, le modèle « Copperplate » de la marque Mitchell me semble le plus facile à se procurer.
Utiliser une plume coudée
La plume coudée se monte sur un porte-plume droit. (à gauche sur l’image) De nos jours, on trouve des porte-plumes coudés qui permettent d’obtenir le même angle qu’une plume coudée mais en utilisant une plume classique. (à droite sur l’image). Evidemment, une plume coudée ne se monte pas sur un porte-plume coudé, après, comme d’habitude, chacun fait ce qui lui plaît (clin d’oeil).
S’agissant de plumes pointues, si vous êtes un fidèle de ce blog, vous le savez, ces plumes sont plutôt réservées à l’écriture de style anglaise & à sa petite soeur américaine appelée la Spencerian Script.
Dr. Joseph M. Vitolo dans son ouvrage « Script in the Copperplate style » conseille l’utilisation du porte-plume oblique car selon lui l’angle de tenue de la plume est plus précis, permettant des pleins plus nets.
Lorsque des voisins ou amis tombent sur d’anciennes boîtes de plumes métalliques, plutôt que de les jeter, évidemment, ils me les confient en sachant que j’en prendrais bien soin et vraiment, je les remercie du fond du coeur de penser à moi. Alors dans la vidéo YouTube, je vous propose une petite démonstration de deux plumes : une baïonnette ancienne & une plume Copperplate neuve. Vous allez voir, les deux plumes n’ont rien à voir l’une avec l’autre, et elles ont chacune leurs usages, si vous souhaitez voir la démonstration, je vous laisse cliquer sur la vidéo (clin d’oeil) :
La plume ancienne est bien plus souple, les contrastes entre pleins et déliés sont forts. La plume Copperplate est beaucoup plus rigide, offrant une grande réserve d’encre évidemment puisqu’il y en a moins qui s’écoule lors des pleins, et parfaitement adaptée lorsque l’on souhaite écrire en petite hauteur de corps. Donc tout dépend de ce que l’on souhaite réaliser, et si vous suivez ce blog, vous savez que c’est souvent ma conclusion, rien n’est tout noir ni tout blanc. Tout est contextuel !
Mon point de vue sur la plume coudée
Professionnellement, l’anglaise est le style d’écriture que je pratique le plus lors des commandes que je réalise. Vous pensez probablement que j’utilise donc quotidiennement une plume coudée… Et bien au risque de vous décevoir, la réponse est non !
Et je vais vous expliquer pourquoi : la première raison est que la largeur de ce montage (porte-plume oblique + plume droite) rend le trempage de la plume dans un encrier difficile. Et bien oui, ça a du mal à passer tout simplement (rires). Donc ce genre d’instrument nécessite de transférer l’encre dans un autre type de récipient ou de charger la plume au pinceau, ce que je réserve uniquement pour certains projets. Une raison qui peut vous sembler triviale, mais la calligraphie étant dans mon cas une activité professionnelle à temps plein… j’ai une vision assez pragmatique des choses.
Autre raison : lorsque j’ai commencé à faire des démonstrations devant le public, je voyais que LE sujet, c’était cette forme de plume très mystérieuse. Et cela induisait pour les personnes que ce qui déterminait la qualité de mes calligraphies, c’était l’instrument mystérieux. En gros, sans cette plume bizarre, circulez, y a rien à voir, elle n’arrive à ce résultat que parce qu’elle possède ce « truc de pro ». Et je me suis demandé « ai-je envie de faire croire cela aux personnes lors de mes démonstrations ? ». Et bien non. Qui plus est que la plume coudée reste une invention liée à l’industrialisation, une invention qui a permis de vendre plus finalement & de développer des entreprises, certes en cherchant à innover, mais l’anglaise, à l’origine, elle se traçait à la véritable plume d’oie, et je n’ai jamais vu de plume d’oie coudée…
Enfin, dernière raison, lors des stages et des cours de calligraphie que je donne, je voyais combien cet instrument, mis dans les mains de débutants, était plus perturbant qu’aidant. Les personnes se concentrent tellement sur l’aspect étrange de cette plume qu’elles ne sont pas concentrées sur la forme des lettres, leurs proportions, sur leur gestuelle, sur l’impact réel de la plume. Bref j’en suis venue à la conclusion que cette plume coudée avait des avantages, certes, dans certaines circonstances, mais qu’elle n’était absolument pas une nécessité de premier ordre pour pratiquer l’anglaise. D’ailleurs, si vous vous demandiez pourquoi je n’en faisais pas usage dans le manuel de calligraphie anglaise et que je l’évoquais un peu rapidement, ceci en est l’explication.
Voilà, encore une fois, ce point de vue n’engage que moi & je vous invite à toujours éprouver par vos propres expérimentations ce que je partage ici. Nous avons chacun des envies, des valeurs et des corps différents donc cet article est surtout une manière de vous livrer mes conclusions en toute sincérité & j’espère qu’il vous aura permis d’appréhender l’histoire et les usages de cette plume si inhabituelle.
Merci à Cassandra d’avoir évoqué ce sujet dans les commentaires, et si comme elle vous souhaitez que j’aborde un sujet lors d’une prochaine vidéo & d’un prochain article, n’hésitez pas à glisser un commentaire juste en dessous de la vidéo ! Je vous souhaite de bien belles lettres & vous dis à très bientôt !
