Si vous souhaitez regarder la vidéo qui aborde le sujet de cet article, c’est par ici :
Je suis Noémie Keren, et quand on me demande ce que je fais dans la vie et que je réponds calligraphe, on me répond immédiatement,
Ah tu fais de la calligraphie chinoise avec de l’encre de Chine ?

Et honnêtement, je ne peux en vouloir à personne, on ne nous a jamais enseigné nulle part que notre culture occidentale avait elle aussi son art de l’écriture… Alors dans cet article je vais tenter de vous partager en quoi consiste cet art, et pourquoi il est plus que jamais intéressant à pratiquer aujourd’hui.
Qu’est-ce que la calligraphie latine ?
Comme il existe différentes langues, il existe différents systèmes d’écritures. En calligraphie chinoise, on utilise des idéogrammes qui sont tracés au pinceau. En calligraphie arabe, on utilise un alphabet qui est traditionnellement tracé avec un calame. Je ne vais pas lister toutes les traditions calligraphiques qui existent mais sachez qu’il y en a de nombreuses, toutes très variées, et toutes plus fascinantes les unes que les autres.

Mais le sujet du jour, c’est la calligraphie latine !
On lui a donné ce nom tout simplement parce que cette calligraphie utilise l’alphabet latin, c’est à dire celui que l’on utilise en France, mais aussi qu’utilisent nos voisins espagnols, nos voisins allemands, nos voisins anglais, bref vous avez compris, il s’agit de l’alphabet qui a marqué la culture occidentale.

Et d’ailleurs, a priori, le numérique lui donne une place de plus en plus importante dans le monde parce que ce système a l’avantage de permettre une expression quasi infinie avec un nombre de signes très limités.
Combien de lettres y-a-t’il dans notre alphabet déjà ? C’est juste pour être bien sûre que vous suivez.

Donc si on ajoute à nos 26 lettres un second lot de 26 lettres pour obtenir des majuscules & des minuscules, on commence à avoir pas mal de possibilités. Ajoutez à cela les accents, quelques caractères spéciaux & la ponctuation… et vous avez sous vos yeux un système extrêmement efficace pour communiquer à distance, qu’il s’agisse d’une distance physique, écrire une lettre, ou d’une distance temporelle, être lu au XXIème siècle quand on a tracé une bible à la plume durant l’ère carolingienne… Vous réalisez le miracle quand même ? Personnellement, je trouve ça toujours aussi émouvant quand j’y pense, et presque vertigineux.

Parce qu’avec ce système de 26 lettres, vous pouvez tout dire, tout écrire, en plusieurs langues. Vous imaginez ? Non, parce que comme on s’en sert tous les jours, on ne réalise même plus combien c’est extraordinaire…

Donc quand on pratique la calligraphie latine, on a un nombre assez incroyable de styles possibles à explorer : on peut calligraphier notre alphabet à la mode de Charlemagne par exemple, en caroline, on peut aussi calligraphier en gothique (comme les mots « Certificat de Mariage » ci-dessous), ça je pense que ça vous parle !

Mais on peut aussi calligraphier en anglaise, comme je le fais ici :
ou encore dans des dizaines d’autres styles.
Les instruments de calligraphie latine
En général, de nos jours, on utilise une plume métallique montée sur un porte-plume que l’on trempe dans de l’encre (qui est différent d’un stylo-plume), mais on peut aussi calligraphier avec des feutres, un balai, une fourchette, bref, beaucoup de libertés s’offrent à nous !

Pourquoi personne ne connaît la calligraphie latine ?

Et malgré le fait que la plupart des Français adorent la calligraphie – Je dis ça parce qu’à chaque démonstration que je réalise, je vous garantis qu’un attroupement se crée rapidement autour de moi… Et bien malgré cet amour, la calligraphie latine est une discipline assez confidentielle. Autant vous trouvez aisément des cours de peinture, de sculpture, autant il est assez rare en France de pouvoir s’inscrire à un cours de calligraphie latine à deux pas de chez soi.

Je vous le disais en introduction, quand je dis que je suis calligraphe, on m’imagine travaillant au pinceau & à l’encre de Chine, pratiquant la calligraphie chinoise. D’ailleurs, ce n’est pas très étonnant, parce que vous trouverez plus facilement un cours de calligraphie chinoise ou de calligraphie arabe près de chez vous qu’un cours de calligraphie latine. Depuis les années 80, la culture asiatique bénéficie d’un grand enthousiasme par le public français, et puisque la tradition d’une calligraphie chinoise a perduré en Chine, il est naturel que l’on connaisse plus aisément cette discipline chez nous…

Mais figurez-vous que la calligraphie latine a eu sa propre tradition en France. Elle a même eu sa propre Académie royale, oui, vous avez bien entendu, comme l’académie française, mais pour l’écriture manuscrite !

En 1762, l’Académie royale d’écriture a vu le jour grâce au roi Louis XV. Dans cette Académie, on trouvait des professionnels de l’écriture que l’on appelait des « maîtres écrivains ». Et leurs compétences en cette académie étaient : la grammaire, le calcul, les vérifications, l’écriture et la paléographie c’est-à-dire l’étude des écritures anciennes. Le 23 janvier 1779, Louis XVI transforme cette Académie en un Bureau académique d’écritures et lui donne comme compétence exclusive en plus des compétences précédentes, la vérification des écritures. Vous vous demandez ce qu’est la vérification des écritures ? Et bien figurez-vous qu’à cette époque, il était primordial de pouvoir authentifier une écriture manuscrite. Les faussaires en écritures pouvaient créer des faux aux conséquences plus que fâcheuses. Et c’est grâce à ces vérifications d’écritures que les maîtres écrivains ont connu leurs heures de gloire à la cour de France.

Après la Révolution Française, comme bon nombre d’institutions antérieures, le Bureau académique d’écritures disparaît. La Révolution a pourtant bien en tête que l’écriture est un instrument politique, et qu’il faut enseigner l’écriture au plus grand nombre pour faire perdurer les droits de l’homme et du citoyen. Ce sujet fera prochainement l’objet d’une vidéo, car j’ai de véritables pépites à vous partager ! Mais concrètement, même si l’on a très envie de démocratiser l’enseignement de l’écriture pour tous, il faut dire qu’avec la plume d’oie… Ce n’est pas une mince affaire !

C’est grâce à la révolution industrielle, avec la fabrication en série de plumes métalliques (que l’on montait sur un porte-plume et que l’on trempait dans un encrier) que l’écriture va pouvoir être enseignée à tous les Français & toutes les Françaises. Vous avez forcément entendu parler des lois de Jules Ferry. Mais évidemment, si on démocratise un enseignement, c’est dans un but utilitaire. L’objectif était (et est toujours d’ailleurs) de rendre chaque enfant capable d’écrire lisiblement et de déchiffrer des textes. Les maîtres écrivains vont donc concentrer leur énergie dans la production de manuels d’enseignement de l’écriture pour les écoles laïques. Et bien entendu, dans ces manuels, pas de fioritures. On ne conserve que ce qui est utile & facile pour que tout le monde puisse suivre l’enseignement. Peu à peu, les enjeux artistiques de la calligraphie ont disparus avec la disparition des maîtres écrivains eux-mêmes, au profit d’un enseignement utilitaire.
Alors, notre pays manque-t-il d’attachement aux formes non utilitaires ?


Quand on regarde l’évolution de l’architecture et de nos décorations d’intérieur… On réalise que toutes les formes se sont standardisées, les couleurs sont devenues de plus en plus neutres, des blancs, des gris, des noirs… Et la tradition calligraphique de notre pays a connu la même évolution.
Aujourd’hui, on me rétorque souvent qu’enseigner l’écriture manuscrite ne sert plus à rien puisque nous avons des claviers, il serait néfaste de perdre du temps à enseigner quelque chose d’inutile.
Je ne vais pas entrer dans ce débat qu’a déjà suscité ma vidéo sur le stylo Bic, cependant, j’aimerais que nous nous interrogions sur cette notion d’utilitarisme que l’on impose à l’enseignement.
Si l’écriture est « seulement » un alphabet qui permet d’être lu, évidemment, il n’y a aucun intérêt à manier un stylo, et encore moins une plume, un clavier fera l’affaire.

En revanche, si la calligraphie est vue comme une pratique manuelle, une discipline corporelle et artistique, on voit combien elle peut conserver une utilité (oui, parce que je dois argumenter sur le terrain utilitariste, vous me suivez).
Elle est l’un des derniers exercice moteur que l’on propose à nos enfants avec le sport.

Apprendre à écrire, ce n’est pas seulement apprendre à transmettre ses idées, c’est apprendre à mettre en forme, à manipuler un objet avec précision, c’est aussi appréhender un espace : la page, ses lignes, c’est apprendre à prendre des repères.
Et pour la plupart des enfants, quand je donne un atelier de calligraphie, je vois bien que si l’on met à disposition des plumes et de l’encre, ils sont très enthousiastes face à l’écriture. En fait, chez les enfants, il y a encore cette part de rêve. Eux, ils comprennent très bien ce qu’ils vont pouvoir faire de la calligraphie ! Il vont pouvoir plonger dans des rêveries intérieures à une autre époque, créer de belles choses pour leurs parents, et inventer tout un univers plein de tâches, mais aussi plein d’application.

Alors, pourquoi pratiquer la calligraphie latine aujourd’hui ?
Et bien je dirais, tout simplement pour la joie d’en être héritiers, pour la joie de partager cette histoire, pour la joie de retrouver une discipline qui nous réconcilie avec le temps long,
avec le temps lent comme j’ai le dire,
bref, pour la joie d’être en vie, dans un corps capable de danser & de laisser une trace sur un véritable papier.
Si je vous ai donné envie d’en apprendre davantage sur la calligraphie latine, n’hésitez pas à aller regarder mes vidéos sur la chaîne YouTube, à lire les autres articles de ce blog, & à partager cette histoire autour de vous avant que nous ne la laissions disparaître !