Vous la connaissez sûrement. Vous l’avez peut-être tenue entre vos doigts d’enfant malhabile, tachés d’encre violette. Ou bien vos grands-parents vous en ont parlé : « de mon temps, ce n’était pas si facile qu’avec ton stylo à bille ! ». Eh oui, vous l’avez deviné, aujourd’hui je vous raconte l’histoire de la plume Sergent-Major, fleuron de l’éducation française jusqu’aux années 60.
Et croyez-moi, même si vous pensez la connaître, ce que je vais vous révéler va changer votre regard sur cette petite plume d’acier !
Si vous êtes nouveau ici, je suis Noémie Keren, calligraphe près de Saint-Émilion, et sur ce blog, je partage ma passion pour la calligraphie, mais aussi pour son histoire.
Si vous préférez regarder la vidéo YouTube consacrée à ce sujet, c’est par ici :
Avant la Sergent-Major

Avant la Sergent-Major, il y a eu d’autres plumes. Dès l’Antiquité, on trouve des plumes métalliques en bronze. Puis, au XVIIIe siècle, certains joailliers en fabriquent en or ou en argent. Mais ces créations restent rares. Pour l’écriture du quotidien — pour ceux qui savaient écrire, bien sûr —, c’est la plume d’oie qui règne. Elle est encore aujourd’hui le symbole de l’écrivain, preuve de son impact culturel durable. Pourtant, elle a été détrônée. Et ce changement, on le doit à un bouleversement majeur : la révolution industrielle.
La Révolution

Imaginez une usine, des dizaines de femmes s’affairant à façonner des milliers de petites plumes d’acier, prêtes à remplacer les plumes d’oie une à une. En Angleterre, l’industrie de la plume métallique prend son essor. En France, l’accueil est… disons mitigé. La légende raconte que Victor Hugo refusait catégoriquement d’échanger sa plume d’oie contre une « épingle grattant le papier ».

Mais ce rejet, teinté de patriotisme, faiblira quand la France commencera à produire ses propres plumes métalliques. Ce détail est crucial, gardez-le en tête…
L’invention de la plume métallique est revendiquée par beaucoup. Bernard Robert, dans son excellent livre Les Instruments de l’écriture, retrace les grandes étapes de cette épopée. Joseph Gillot, un nom que les calligraphes connaissent bien, innove avec une machine qui forme une plume concave, et non plus simplement une copie tubulaire de la plume d’oie. Cette forme permet une économie de métal et surtout, rend possible la mécanisation à grande échelle.

D’autres perfectionnements apparaissent : des fentes latérales, des perforations pour plus de souplesse, un acier cémenté plus résistant à l’oxydation. À partir de 1830, les plumes anglaises inondent la France, qui résiste… mais pas pour longtemps.
La France contre-attaque
L’augmentation des taxes sur l’importation donne des idées à des investisseurs de Boulogne-sur-Mer. Ils lancent leur propre production. Cette ville est idéale : elle a un port pour recevoir les matières premières, et une main-d’œuvre féminine disponible. Après Blanzy Poure et Baignol et Farjon, une nouvelle entreprise voit le jour vers 1880 : la Compagnie française de plumes et de porte-plumes. Elle deviendra bientôt… Sermajor. Vous voyez où je veux en venir ?

Naissance de la Sergent-Major
En 1882, la Compagnie française crée la fameuse plume Sergent-Major. Elle devient la plume scolaire par excellence, utilisée jusqu’à la Libération, avant d’être peu à peu remplacée par le stylo bille dans les années 60. Bernard Robert le dit lui-même :
« Ce n’est pas la qualité de cet instrument d’écriture, dur, grattant, voire arrachant le papier, qui fut en cause, non ! » (Les instruments de l’écriture, p.83).
Alors pourquoi un tel succès ? Accrochez-vous : c’est l’un des plus grands coups de marketing patriotiques de l’histoire française. En 1870, la France capitule après la bataille de Sedan. Un véritable traumatisme national… En 1882, cette blessure est encore vive. Alors, quand la Compagnie française lance des boîtes de plumes ornées de scènes glorieuses comme Austerlitz ou Marignan, bordées de rubans tricolores… le message est clair : acheter ces plumes, c’est acheter un peu de la grandeur de la France.

Et ça fonctionne ! La plume Sergent-Major s’impose, accompagnée de toute une série de modèles aux noms guerriers : Cocarde, Sergent-chef, Victoire, etc.
Comment fabrique-t-on une plume Sergent-Major ?

Le processus est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Une vingtaine d’opérations sont nécessaires : découpe du métal, perçage, recuit, estampage, bombage, trempage, polissage, limage, fente, vernissage… Un vrai travail de précision, réalisé par des mains expertes. Chaque modèle de plume varie légèrement : métal plus ou moins fin, perforations spécifiques, etc.

Avec le temps, une grande diversité de formes et de décors voit le jour. Les fabricants rendent hommage à des personnalités, développent des gammes de plus en plus riches. Et ainsi naît l’un des premiers objets de consommation jetable de l’ère industrielle.

La plume Sergent-Major, c’est donc bien plus qu’un simple outil d’écriture. C’est un symbole d’une époque, d’un savoir-faire, d’une mémoire nationale.
Et vous, vous en avez déjà utilisé une ? Racontez moi vos expériences avec la Sergent-Major dans les commentaires de la vidéo YouTube !
Et si vous souhaitez en apprendre davantage sur les plumes métalliques, cet article peut vous intéresser (clin d’oeil).
