Lors de ma vidéo sur la plume baïonnette, Carole m’a posé une excellente question : quelle taille d’écriture choisir quand on débute en calligraphie anglaise ? Ma réponse : je vous recommande de commencer… en grand. Et dans cet article je vous explique pourquoi.
Si vous préférez voir la vidéo sur ce sujet, la voici !
Lorsque l’on se lance en calligraphie anglaise, évidemment, on a très envie de pouvoir calligraphier de longues lettres. Parfois, on a une petite écriture dans notre quotidien et calligraphier en grand… et bien on ne trouve pas ça très beau…

Cet article risque probablement de vous décevoir & je vois des hordes de lances se profiler à l’horizon, mais je vais tout de même tenter de vous exposer les raisons qui me poussent à vous conseiller de commencer par écrire en grand lorsque l’on est débutant en calligraphie. Si vous êtes nouveau sur cet blog, je suis Noémie Keren, calligraphe française près de Saint-Émilion & je partage ici mon amour pour la calligraphie & son histoire.
Avant d’aller plus loin, une incise vocabulaire
Petit rappel si vous débutez en calligraphie, la hauteur de corps est la hauteur des petites lettres comme la lettre « n » par exemple. Personnellement, lorsque l’on se lance dans l’anglaise, et comme d’habitude, chacun fait ce qui lui plaît, ceci n’est que mon humble avis, je conseillerais de travailler d’abord en 10 mm de hauteur de corps. Alors je sais, c’est géant ! Et pourtant, je peux vous assurer que plus vous passerez de temps à calligraphier en « écriture grosse » comme on dit, plus vous gagnerez en aisance, je vous explique :
Les avantages de débuter en grosse écriture

Le premier avantage, c’est que lorsqu’on écrit gros, et bien… on y voit bien tout simplement ! Évidemment, privilégiez une encre foncée : oubliez le jaune pâle sur fond blanc, vous n’y verrez rien.. Donc une fois muni d’une encre foncée, optez pour un papier blanc avec lignes adaptées (ce que j’appelle des guide-ânes). Vous pouvez en télécharger gratuitement sur mon blog & j’ai fait une vidéo pour vous expliquer comment vous en servir.
Quand je dis qu’écrire gros permet de bien y voir, c’est parce qu’en écrivant gros, vous apprenez à voir les proportions de chaque lettre en détail. Vous affinez votre sens de l’observation qui est, selon moi, la première clé pour s’améliorer en calligraphie.
Le second avantage, qui va de paire avec le premier, c’est qu’en calligraphiant en gros, vous pouvez bien voir vos erreurs. Si on écrit tout petit, on a vraiment du mal à déceler si la plume est bien tenue par exemple. En gros au contraire, vous pouvez rapidement identifier si le plein est positionné au bon emplacement du tracé et donc en déduire si vous tenez correctement votre plume, ou non. Et si la réponse est non, et bien vous pouvez progresser rapidement, puisque vous avez été capable de déceler où ça clochait, et c’est uniquement de cette manière que l’on peut progresser : en identifiant ses erreurs.
Le troisième avantage, c’est que lorsque l’on calligraphie en grand, et bien nous devons exagérer chaque geste. Par exemple, quand je trace un p, je dois réaliser un très long plein droit.
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne dis pas du tout qu’il est plus « facile » de commencer par du 10 mm de hauteur de corps, parce que soyons honnête, il est plus difficile au début de tracer un plein droit qui mesure plus de deux centimètres de long !
Cependant, en s’exerçant à réaliser un si long plein droit, votre corps apprend à bien positionner la plume, à ressentir la pression, vos tracés gagnent peu à peu en netteté. Quand je trace ce geste de base par exemple, j’ai le temps de presser uniquement sur un tiers du geste descendant. Je peux prendre le temps d’apprendre à presser progressivement.

Si je débute par une hauteur de corps de 3 mm… Et bien cela demande une extrême précision ! Une stagiaire qui s’était aventurée sur cette expérience durant le cours en ligne de calligraphie anglaise a eu cette expression très amusante & tellement vraie : « 3 mm me semble mission impossible. Ou avec une aiguille ». Donc en débutant par une grosse écriture, vous apprenez à gagner en souplesse, votre gestuelle gagne en assurance, et progressivement, vous gagnez en précision & vous pouvez réduire la hauteur de corps.
Conseils de maîtres écrivains
Je ne résiste pas à vous partager cette citation de Guillaume Montfort :
« C’est un préjugé trop ordinaire aux commençans, de croire (…) qu’ils doivent tout de suite former des lettres. Souvent même ils pensent qu’il est inutile de s’arrêter longtems aux gros caractères, parce que l’on ne se sert communément que de l’écriture fine.Mais comment faire contracter aux doigts al souplesse nécessaire, sans les avoir longtems exercés à des mouvemens assez grands pour vaincre leur roideur naturelle? Comment reconnaître la vraie forme des caractères, si on ne l’a étudiée dans des figures assez étendues pour rendre sensibles les moindres défauts? Comment, en un mot, assembler des élémens qu’on ne connaît presque pas? Pour se convaincre de la nécessité de commencer par bien former les gros caractères, on n’a qu’à considérer l’écriture de ceux qui ont passé trop rapidement sur les premiers principes; leur écriture est uniforme et sans grace; tous les effets de la plume y sont confondus, et souvent rien n’est lisible. Quand on saura bien former les lettres séparément, on passera aux alphabets et aux mots, comme dans la planche VI et XII; et , diminuant le caractère à mesure que l’on deviendra habile, on ne passera à la fine que lorsqu’on saura bien exécuter la grosse. La marche que je prescris pour l’écriture ronde doit être également suivie pour les autres écritures. »

Vous êtes toujours là ?
Alors je crois que la calligraphie peut vraiment être une activité qui va vous enchanter ! Je n’ai pas résisté à vous offrir ce petit bout d’histoire parce que je prends un plaisir inouï à lire & relire ce genre d’ouvrages de maîtres écrivains. Personnellement, je suis de l’avis de Montfort. Et vous voulez la meilleure ? On trouve un point de vue différent chez Dartiguenave, sinon c’est trop simple ! Est-ce que je leur ressort une citation ?… Ils vont vraiment décrocher et se dire que j’abuse de leur temps… En même temps il faut bien leur montrer l’envers du décor… La réalité, c’est qu’il n’y a jamais une seule bonne réponse et que chacun voit midi à sa porte… Oui, bon de toute façon ce serait dommage de priver ceux que ça intéresserait… Allez :
Donc chez Dartiguenave on trouve le même conseil mais… mitigé : « Pour rompre la raideur naturelle des doigts, les premiers exercices devront se faire en gros caractères ; mais il faut le proportionner à la main de l’élève et au jeu progressif qu’il acquerra. Un trop gros caractère, loin de délier les doigts, les fatigue, les engourdit et force à se servir du bras dans l’exécution. (…) Toutefois un caractère d’une grosseur convenable a l’avantage de montrer avec plus d’évidence les effets de la plume, de donner une idée juste de la forme des lettres, et de rendre sensibles leurs moindres défauts. » Sur la fin, quand même, il rejoint notre cher Guillaume.

Vous l’aurez compris, cet article n’a pas vocation à ériger une dictature de la calligraphie anglaise, mais plutôt à vous accompagner dans vos réflexions sur la manière de vous y exercer. Je n’ai aucunement la vérité absolue, seulement des expériences avec les stagiaires que j’accueille à Saint-Émilion, quelques années de pratique & quelques lectures d’ouvrages de maîtres écrivains, et je suis loin d’être arrivée au terme de mes apprentissages & découvertes.
J’ai souhaité vous partager ceci en réponse à Carole, parce que ce sont des questions qui reviennent souvent, et j’espère que cette vidéo vous sera utile. D’ailleurs si c’est le cas, n’hésitez pas à aimer la vidéo YouTube, ou à vous abonner si ce n’est pas encore fait..
Et si vous souhaitez vous exercer à la calligraphie anglaise, j’ai rédigé un manuel complet (en français, oui, quand j’ai appris, il n’y avait vraiment pas grand chose en langue française alors je me suis dit que ça pourrait être utile !).
