Tous les français vous le diront, les enfants ne savent plus écrire de nos jours. À chaque démonstration de calligraphie que je réalise en public, la même remarque revient « ah ça, aujourd’hui, ils ne savent plus faire ». Et bien oui, en France, depuis les années 60, on n’utilise plus la plume métallique pour enseigner l’écriture, c’en est fini des pleins & des déliés ! La faute à qui ? La faute à Bic ? Installez vous confortablement, aujourd’hui, je vous conte l’histoire du baron Bich ! Et vous verrez que vous ne regarderez plus jamais un stylo Bic de la même manière !
Si vous souhaitez regarder la vidéo YouTube dédiée à ce sujet, la voici :
Si vous êtes nouveau sur cet blog je suis Noémie Keren, calligraphe installée près de Saint-Émilion, et à la fin de la vidéo YouTube, je vous ai fait une petite démonstration pour voir si l’on peut calligraphier avec un Bic !
Avant Bic
Au commencement était le Verbe… euh non aux commençants étaient la plume ! Dans notre pays, la plume d’oie a présidé à l’enseignement de l’écriture manuscrite du Moyen-Âge jusqu’à la révolution industrielle. D’ailleurs, la semaine dernière je vous parlai de la célèbre Sergent Major, cette plume métallique qui a indéniablement écrit l’histoire de France. Et si la plume métallique a connu une forte résistance avant de conquérir le coeur des Français, et bien je ne vous raconte pas celle qu’a provoqué le stylo à bille ! Mais si, je vous raconte !
Toute cette histoire, c’est avant tout des difficultés d’industrialisation & de technique. Pour vous raconter les choses simplement, je vais devoir vous faire voyager quelque peu & passer par un soupçon d’histoire de conflits, vous allez voir, c’est une aventure !
Le stylographe
Dès 1850, les fabricants déposent quantité de brevets pour divers modèles de stylographes. Leur objectif à l’époque est de s’émanciper de l’encrier en ayant un réservoir d’encre interne au porte-plume en quelque sorte. Comme pour les miracles de l’aviation, l’histoire est pleine d’inventions plus ou moins ingénieuses, et plus ou moins ambitieuses. Bon, on risque un poil moins pour sa vie quand on essaie un stylographe que lorsqu’on se lance pour traverser la Manche…

Si les plumes métalliques avaient déjà ouvert la voie du produit de consommation jetable, les stylographes avaient comme ambition de viser la longévité. On vante leurs mérites de robustesse & de fiabilité dans les réclames. Et c’est pourtant un nouveau produit jetable qui va cartonner !

L’inventeur du stylo à bille
Notre célèbre Bic ne doit pas son nom à son inventeur, comme c’est le cas pour la…. Poubelle ?

Non non non ! Pour comprendre l’origine du stylo à bille, il faut partir à la rencontre d’un journaliste hongrois, Jozsef Ladeslav Biro. Ce qui le motive dans son invention, c’est le besoin de disposer d’un instrument d’écriture fiable, toujours disponible, et facile d’usage en toutes circonstances. Il comprend vite que le mécanisme de la bille est quand même plus en phase avec ses besoin que la plume métallique & dépose un brevet. Sauf que Monsieur Biro a quand même un problème. Et bien oui, vous savez, être inventeur, ça n’est pas si simple qu’il y paraît… C’est un peu comme en calligraphie, il faut beaucoup de ratés pour parvenir à la beauté ! Donc son problème à Monsieur Biro, c’est l’encre : si elle est trop liquide, elle s’écoule trop vite & si elle est trop visqueuse, et bien… elle ne s’écoule pas du tout et la bille se bloque. Je crois que ses expériences de la réalité de la matière parleront aux calligraphes ! Clairement, nous vivons les mêmes difficultés avec nos plumes métalliques (clin d’oeil).

Alors comment résoudre ce problème d’encre me direz-vous ? Où a-t-il été chercher la solution notre journaliste hongrois ? Et bien du côté des journaux ! Bernard Robert dans son ouvrage « Les instruments de l’écriture » raconte qu’avec son frère qui était chimiste de formation, ils ont constaté que l’encre utilisée pour imprimer les journaux séchait rapidement sans s’écouler trop fortement. Biro parvient à mettre au point une encre adaptée à son super stylo & dépose un brevet. À partir de 1938, il ne lui reste qu’à trouver un associé pour financer l’industrialisation du produit… Rien que ça. Oui ben ça n’est pas si simple qu’il y paraît ! Parce qu’avoir une idée, c’est bien mais savoir la concrétiser, c’est encore une autre affaire !

La date ne vous aura pas échappé, le seconde guerre mondiale approche. Biro est contraint de fuir pour Paris, puis Madrid & finit par se réfugier en Argentine sur les conseils d’Henry-Georges Martin, un financier et ressortissant anglais qui y réside déjà. Soyons honnêtes, Biro tout seul, dans le contexte de cette période, aurait eu beaucoup de mal à commercialiser son produit novateur… C’est Monsieur Martin qui va l’épauler pour déposer des brevets aux Etats-Unis, au Brésil, en Grande-Bretagne & en France entre 1943 et 1949. En bon calculateur financier, Martin conseille à Biro de vendre son brevet sous forme de licence : c’est-à-dire que chaque entreprise vendant un stylo à bille paye Biro pour utiliser son invention, mais doit faire figurer le nom de Biro sur chaque emballage. Ce système permet à l’inventeur de vendre son invention autant de fois qu’il le souhaite. Ingénieux non ?

Au sortir de la guerre, Biro vend ainsi son brevet à plusieurs fabricants. C’est un carton plein de tous les côtés, et le désormais célèbre baron Bich se dit qu’il est grand temps de jouer sur cet échiquier… Ah oui, je ne vous ai pas encore présenté le baron. Faisons connaissance !
Marcel Bich
Le baron Bich est un enfant issu d’une famille franco-italienne, bachelier, il termine ses études à Paris. Il est par la suite engagé dans l’armée de l’air de 1939 à 1940. Après la guerre, il reprend avec un associé une fabrique de stylographes et de porte-mines. Conscient du succès des stylos à bille, il dépose un brevet sur le mécanisme de la bille… Vous avez l’impression que je répète la même histoire ? Mais vous l’avez deviné, comme notre journaliste hongrois, il se rend vite compte que le brevet sur le mécanisme de la bille ne vaut rien si l’encre n’est pas au top du top !
Notre baron Bich contacte donc directement l’inventeur du stylo à bille, notre ami Biro (oui, Bich, Biro, on a de quoi s’y mêler les stylos !) et lui demande l’exclusivité d’exploitation de son brevet. Ça ça veut dire que le baron ne se contente pas d’une simple licence, lui il veut être le seul à commercialiser ce stylo à bille. Et une fois l’exclusivité obtenue, le baron lance la fabrication de ce best seller : le Bic sans h !

Le secret de la réussite du Bic ? Sa simplicité de fabrication & un coût de revient assez faible.
Je cite Bernard Robert : « une bille sertie avec une grande précision évitant tout écoulement de l’encre, sur une pointe en bronze, raccordée à un tube souple formant le réservoir. L’ensemble prenait place dans un tube transparent, d’où le terme de cristal, obturé par une capsule de même couleur que le capuchon ».

D’ailleurs, si vous vous demandiez à quoi sert le petit trou présent sur chaque Bic, et bien c’est grâce à lui que la pression entre l’intérieur et l’extérieur du tube souple est optimale !
Le stylo Bic à l’école

Ok donc, nous avons la mise au point d’une invention révolutionnaire, hyper pratique, et parfaitement au point techniquement. Nous avons, la fabrication industrielle qui est opérationnelle & très rentable. Est-ce que pour autant, l’école française est prête à troquer sa Sergent Major contre un stylo Bic pour l’écriture manuscrite ?
Non, non, non comme dirait mon fils.
Notre cher baron Bich va vraiment s’impliquer dans la réussite de son projet. D’abord, il va imaginer une toute autre approche que ses concurrents : je vous parlais des qualités de robustesse que vantaient les fabricants de stylographes ; Bich va imposer une pensée du jetable et induire chez les consommateurs l’habitude de renouveler périodiquement son stylo. Donc plus de ventes régulières.

Mais pour parvenir à cette nouvelle habitude, le baron va déployer des campagnes publicitaires de grande ampleur. De l’affiche, au film à la radio, et avec, comme véritable stratégie « Cheval de Troie » : le buvard ! Dans les écoles, on absorbait le surplus d’encre des cahiers avec un visuel très soigné et très amusant vantant la vitesse de la bille du Bic ! Un véritable coup de maître ! D’ailleurs, si vous avez appris à écrire à la plume dans une école française, je serais curieuse de savoir si vous aviez en votre possession un célèbre buvard Bic et si son visuel & son slogan vous ont marqué enfant.

Le stylo Bic : une nouvelle écriture
Dès 1927, on avait tenté d’introduire en France une nouvelle forme d’écriture manuscrite, inspirée des méthodes anglaises : l’écriture scripte. Oui, avec nos petits on appelle ça l’écriture bâton. Une entrée timide parce qu’on le sait, en France, on n’aime pas trop la nouveauté ni le changement… A part en période de Révolution ! Cette écriture scripte est réputée être plus facile parce qu’elle ne contient pas de liaisons, ni de boucles. Des lignes droites, des lignes rondes, et hop, on sait tout écrire en deux temps trois mouvements. Alors que notre écriture cursive, qu’on appelle « attachée » avec nos petits ; elle est caractérisée par ses boucles, ses liaisons, ses pleins, ses déliés, pfiou ! Que de difficultés ! D’ailleurs le débat entre écriture scripte et cursive existe encore aujourd’hui, et le nouveau modèle proposé par l’éducation nationale qui se rapproche de plus en plus de la scripte prône toujours ce même argumentaire de « facilité d’apprentissage ».

Personnellement, je crois que l’on se trompe de débat. Pour moi, la véritable question est plutôt « est-ce mieux parce que c’est facile ? Ou au contraire, est-il plus intéressant d’enseigner des choses difficiles à nos enfants ? » Le débat est ouvert !


Pour en revenir à nos Bics, son tracé linéaire a su mettre à profit ce style d’écriture scripte et l’avènement du stylo Bic dans les écoles a fortement favorisé le déclin de l’écriture cursive. Attention, je ne dis pas que l’on n’enseigne plus l’écriture attachée de nos jours. Je dis que cet instrument à bille, ne faisant pas de pleins ni de déliés, a mis un terme aux pleins & aux déliés de la cursive. Des élèves de calligraphie ayant connu cette période révolutionnaire m’ont également rapporté qu’elles avaient changé de style d’écriture à l’arrivée du stylo Bic dans la classe : elles avaient appris une écriture cursive italique (ce qu’on appelle la calligraphie anglaise) et à l’arrivée du stylo Bic, c’est une écriture cursive droite qui leur a été proposée, donc les lettres se sont redressées. De nos jours, on constate aussi que dès le collège, la plupart des élèves mêlent lettres scriptes et lettres cursives dans un même mot.
Un point important à rappeler, c’est que l’écriture est une danse qui laisse des traces. Et selon l’outil que l’on utilise, évidemment, la trace diffère. Donc à la plume métallique, pleins & déliés & au Bic, ligne linéaire.
Stylo Bic : la démocratisation de l’écriture
Quelles qu’aient été les conséquences du stylo Bic sur l’écriture manuscrite française, on ne peut nier l’impact incroyable de cette invention sur notre quotidien. L’avènement du Bic, c’est un peu l’éclat réussit d’une forme de démocratisation : cet instrument a permis à tout un chacun de pouvoir écrire en toute simplicité & à moindre coût. Comme je le dis souvent quand je parle de l’histoire de la calligraphie, du temps des plumes d’oies, on avait beau avoir envie de démocratiser l’enseignement de l’écriture, Jules Ferry n’a pu amener ce changement social qu’à partir de l’industrialisation des plumes métalliques.
Un autre angle à évoquer évidemment, à l’heure de l’écologie, c’est l’impact environnemental du stylo Bic. Je ne vais pas m’attarder sur cette question mais on peut clairement dire que Bic a mis en oeuvre cette conception du jetable dans sa stratégie de commercialisation. Et bien sûr, de nos jours, bien des fabricants utilisent le même modèle. Alors nous attendons de voir les nouvelles innovations de cette industrie pour rétablir la balance écologique.
Démonstration de calligraphie au stylo bille
Nous allons voir s’il est possible, malgré ce que je vous disais sur les qualités de tracé du Bic, de calligraphier, avec des pleins & des déliés à l’aide d’un stylo à bille ! À votre avis ? Possible ou pas possible ?
Je vous remercie d’avoir lu cet article jusqu’au bout ! Si vous souhaitez en apprendre davantage sur l’histoire de notre écriture & de la calligraphie, n’hésitez pas à aller voir les autres articles que j’ai publié !
Je vous souhaite de bien belles lettres !