Si l’écriture est de plus en plus problématique dans les écoles, pourquoi enseigner la calligraphie aux enfants ? Dans cet article, je reviens sur les valeurs que transmettent la calligraphie et sur les apprentissages que permet cette discipline.
Parce qu’avec rien, on peut tout
La calligraphie nécessite très peu de besoin matériel : du brou de noix, quelques petits bâtons et du papier peuvent très bien suffire pour lancer une activité avec les enfants. Tailler les bâtons pour en faire des calames, voilà déjà une très belle source d’apprentissage : on peut transformer une matière pour qu’elle devienne instrument ! On trempe cette création dans le brou de noix, et chaque geste que nous allons faire au contact du papier laissera une trace. Ces gestes simples, voire même rudimentaires, permettent aux enfants de renouer avec la simplicité des jeux desquels les écrans les coupent davantage chaque jour. Il est essentiel pour le développement des enfants d’expérimenter le monde par le corps. Comprendre qu’avec si peu de choses, l’infini des possibles s’offre à nous, c’est aussi s’offrir la possibilité du bonheur dans la simplicité. Adultes, cette valeur phare leur permettra de ne pas se cantonner à la frustration de ne pas posséder tel accessoire dernier cri, mais de trouver d’autres voies pour s’épanouir, d’avoir l’esprit capable de rebondir.
Parce qu’ils aiment ça
Il n’y a qu’à voir combien d’enfants s’attroupent autour des calligraphes lorsqu’ils sont en démonstration. Les enfants adorent la calligraphie ! Les outils diffèrent de ceux qu’ils utilisent, tient, une plume ?! Ce qui les intrigue les poussent à questionner et à vouloir expérimenter. Si l’écriture scolaire peut être difficile, la calligraphie offre une pratique avec des enjeux très différents. Nous sortons du cahier à lignes seyes, les gestes sont aux aussi très différents. Selon l’outil, l’ampleur des mouvements s’accroît, on explore de plus grands espaces et on découvre que la lettre est une trace de geste. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, les enfants sont très attentionnés à l’égard des plumes et des porte-plumes. Lorsqu’ils prennent l’outil en main, c’est avec prudence, à la manière d’un bijou précieux, ils hésitent à presser trop fort pour créer les pleins « ah mais faut appuyer en fait ! Je croyais que j’allais la casser ! ». Ce désir de calligraphie est un élément essentiel à prendre en compte : s’il y a désir sincère, l’apprentissage est réel & facile.
Parce qu’ils appréhendent mieux l’espace
La calligraphie, c’est l’art de se repérer dans l’espace. Chaque lettre a son propre espace interne, qui a avoir avec la notion de proportion. Si je fais mon A avec les « jambes » très écartées, ce n’est pas le même que si je le fais avec les « jambes » très resserrées. Apprendre à identifier ces éléments, c’est se familiariser avec les proportions, mais c’est aussi éduquer son regard à VOIR. On dit souvent que pour bien dessiner, il faut savoir bien observer. La calligraphie demande les mêmes prérogatives.
Il y a aussi l’espace du support : où vais-je écrire ? Comment va s’orchestrer mon texte dans la page ? Il y a aussi l’espace entre les lettres, l’espace entre les mots, l’espace entre les lignes. Lorsque l’on travaille les écritures anciennes, avec un calame ou une plume biseautée, la largeur du « bec de plume » nous permet de déterminer la hauteur de nos lignes. Apprendre à sortir des centimètres, se repérer dans l’espace par des éléments de proportions, encore un enseignement de la calligraphie. Ces compétences, elles nous servent au quotidien sans que nous y pensions. Aménager son jardin, installer un nouveau meuble dans la maison, estimer la bonne quantité de légumes pour le repas du soir, garer notre véhicule, etc. Elles sont également au coeur de nombreuses activités professionnelles : tous les artisans du bâtiments doivent avoir une bonne appréhension de l’espace, mais aussi les coiffeurs, les pâtissiers, les pompiers, les élagueurs, sans parler des fleuristes. Réfléchissez, je suis certaine que dans votre vie quotidienne, vous avez des exemples où cette appréhension de l’espace vous facilite la tâche.
Parce qu’ils assurent leurs gestes
Dans un monde où les activités manuelles s’effondrent face aux activités numériques, développer l’assurance gestuelle est essentiel. Demain, nous aurons besoin d’être soignés par des infirmiers qui piquent au bon endroit, par des chirurgiens qui ouvrent précisément, nous aurons aussi besoin de pâtissiers qui sont à même de montrer différents glaçages etc. Nous aurons aussi besoin d’avoir confiance en notre coiffeur. L’inexpérience gestuelle peut réellement mener à des situations dangereuses. Combien d’enfants de collège ai-je vu tenir un cutter avec la lame vers le haut, sur le point de placer leur doigt dessus ? Expliquer les risques, montrer comment manipuler l’outil, fixer des règles de conduite, et nous avons l’assurance que nos enfants seront en sécurité. La calligraphie développe la gestuelle des enfants. Tracer, dicter à sa main, à son bras, le chemin précis à parcourir. Cette motricité fine, elle nous sert aussi au quotidien : couper les carottes, recoudre un bouton, désinfecter une plaie, etc. Tout l’exercice de la calligraphie revient à dompter sa gestuelle : ce n’est pas le corps qui dicte le chemin, mais le regard qui informe tout le bras de ce qu’il a à faire. De la même manière, en travaillant à la plume, la pression de l’outil sur le papier devient un sujet important. Si j’appuie trop fort, impossible de remonter, la plume se plante dans le papier. Si je n’appuie pas du tout en descendant, je ne crée pas de plein. La demie-mesure à trouver est un excellent moyen de développer sa sensibilité gestuelle.
Parce que la calligraphie renforce l’estime de soi
Si l’exercice de la calligraphie est éprouvant et exigeant, cette discipline est un très bon levier pour renforcer l’estime de soi. Les modèles demandent de l’entraînement et de la persévérance c’est évident. Néanmoins, portés par le désir et le goût d’y arriver, les enfants parviennent à des résultats très satisfaisants. L’intérêt, c’est que la calligraphie laisse des traces. On peut donc facilement mesurer ses progrès. Reprendre la première page (penser à bien date toutes les feuilles de travail) et la comparer avec la dernière, voilà de quoi motiver les enfants, et leur faire prendre conscience de leurs progrès. Alors ils répondront, faussement mécontents, que ce n’est pas encore ça, mais vous sentirez au fond d’eux, ce petit personnage en train de se dandiner de plaisir.
Je pourrais évoquer encore mille raisons qui font que la calligraphie est absolument merveilleuse pour les petits (comme les grands). Cependant, je vais surtout rappeler ce point qui pour moi est le pré-requis le plus important : il est merveilleux d’enseigner la calligraphie aux enfants parce qu’ils aiment ça, qu’ils en demandent & que l’envie porte la progression !