Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

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Une méthode d’écriture de 1818

Le plaisir de la calligraphie réside dans un va-&-vient permanent entre la pratique & la consultation de documents historiques. Aujourd’hui, je souhaitais vous présenter un ouvrage que j’affectionne particulièrement, car il s’agit de l’ouvrage de référence sur lequel j’ai fondé mon apprentissage de la calligraphie anglaise. Bienvenue dans le monde calligraphique du maître Dartiguenave & du graveur D’Avignon, Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire !

Publié en 1818, cet ouvrage rédigé par J. Dartiguenave, membre de l’Académie d’écriture de Paris & gravé par Jean-François D’Avignon (un second graveur a signé plusieurs planches du nom de Dizambourg) comporte 5 pages d’introduction & 22 planches gravées en plus de celle du titre.

Avant-Propos

L’écriture est sans contredit une des découvertes les plus utiles, puisqu’elle est l’instrument de presque tous les autres.

Dartiguenave, Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

Dans son avant-propos, l’auteur nous convainc des enjeux de l’écriture & de la noblesse de cet art. Très vite, il pose les raisons de son projet : « convient-il de faire payer à l’amitié le plaisir de nous lire par le fatiguant travail de nous déchiffrer ? ». Les conséquences néfastes d’une mauvaise écriture sont énoncées, ainsi qu’un enjeu qui relève davantage de l’expertise : sous le nom d’ « étude théorique de l’Ecriture« , Dartiguenave évoque les faux dans le registre de l’écriture. En effet, les signatures et autres contrats font parfois l’objet de faux, préjudice qui pourrait être évité en formant davantage à l’écriture puisque ces caractères imités seraient d’emblée identifiés comme de frauduleuses imitations.

Ce court aperçu suffit pour prouver que l’Ecriture est aussi étendue et curieuse dans ses détails qu’elle est importante dans ses résultats. »

Dartiguenave, Avant-Propos, Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

Pour conclure cet Avant-Propos, L’auteur mentionne la contribution de son frère, « à la fois mon élève et mon collaborateur » mais aussi celle de maîtres célèbres de la capitale qui l’ont conseillé durant un séjour qu’il a effectué en leur compagnie. Dartiguenave évoque son entrée en tant que membre de l’Académie d’Ecriture & le fait que son ouvrage a été adopté pour l’usage des Ecoles par la Commission de l’Instruction Publique.

Première Partie

Position du Corps

Comme dans tout ouvrage visant l’apprentissage de l’art d’écrire, le premier paragraphe ainsi que la première planche sont consacrés à la « Position du Corps ». Il faut rechercher une « pose aisée, naturelle, propre enfin à faciliter le mouvement des organes qui meuvent le bras et les doigts. » Si le corps est droit, la tête est légèrement inclinée vers la table. Le côté gauche du corps est légèrement plus rapproché de la table que le côté droit, sans pour autant la toucher. Les bras sont posés horizontalement sur la table. Le bras droit doit faire montre de légèreté, comme rappelé plusieurs fois au fil du texte par l’auteur. Le bord de la table est placé à mi-hauteur de l’avant-bras. Le rôle de la main gauche est de maintenir le papier en place durant l’écriture, de l’orienter.
La jambe droite est placée verticalement sous la table alors que la gauche est légèrement étendue en avant.

Cette position est plus importante qu’il ne semble, puisqu’elle allège le côté droit de tout le poids qui peut lui rester, et qu’elle laisse à la main de l’écrivain toute liberté possible.

Dartiguenave, Première Partie, ayant pour objet les moyens de disposer à l’action d’écrire, et de faciliter cet exercice, Position du Corps, Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire
Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l'art d'écrire, calligraphie anglaise paléographie
Détail d’une planche écrite par Dartiguenave & gravée par D’Avignon (Source : Gallica)
Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire
La figure de l’oiseau composée par des Traits de Plume vient surplomber les illustrations présentant la position du corps lors de l’écriture.

De la Taille de la Plume

Un écrivain qui ne sait pas tailler sa plume, est comme un musicien qui ne sait pas accorder son instrument.

Dartiguenave, Première Partie, ayant pour objet les moyens de disposer à l’action d’écrire, et de faciliter cet exercice, De la Taille de la Plume, Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

Dartiguenave expose ensuite la manière de tailler la plume, abordant les différences sur lesquelles porter son attention en fonction des usages de la plume (écritures ronde, bâtarde, coulée, anglaise, traits d’ornement). Il évoque également l’usage d’une plume à deux becs qui permet selon lui de « rendre bien plus sensibles les effets variés du jeu de la plume, et [de] faire ressortir les irrégularités inséparables de sa mauvaise position ».

Manière de Tenir la Plume en Ecrivant

Il est intéressant de noter que deux points de vue s’offrent à nous pour comprendre la « Tenue de la Plume » sur la planche associée au texte (Planche 4e) : une vision du point de vue de l’écrivain, qui nous place directement dans l’action de notre propre corps & une vision externe, qui peut permettre au maître de vérifier si l’élève adopte la bonne tenue. Comme la plupart d’entre nous l’ont appris à l’école, la tenue de la plume se fait avec trois doigts : le pouce, le majeur & l’index.

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Tenue de la plume
Détail d’une planche écrite par Dartiguenave & gravée par D’Avignon (Source : Gallica)
Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

Au-delà de la manière dont maintenir la plume dans la main, Dartiguenave expose les variations à apporter selon l’écriture choisie. Pour l’anglaise par exemple, il conseille de la tenir plus penchée alors que pour la ronde « la plume sera tenue un peu plus droite ».
L’auteur mentionne plusieurs fois au fil de sa méthode l’importance de ne pas serrer la plume trop fortement entre les doigts – un fait que l’on constate de nos jours chez les jeunes enfants apprenant à écrire. Enfin, fait qui m’a semblé touchant & amusant, je cite pour le plaisir :

Il convient, surtout pour les commençants, de laisser à la plume toute sa longueur, c’est-à-dire de n’en point retrancher le plumet ; il donne à l’écrivain plus de grâce, et sert à l’avertir s’il se penche trop sur la table. »

Dartiguenave, Première Partie, ayant pour objet les moyens de disposer à l’action d’écrire, et de faciliter cet exercice, Manière de Tenir la Plume en Ecrivant, Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

Positions de la Plume

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Position de la plume
Dartiguenave, Positions de la Plume,
Planche 5e, détail, gravée par Dizambourg
Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

Contrairement aux usages que l’on voit aujourd’hui, l’anglaise est ici tracée avec une plume qui n’est pas parfaitement pointue (origine volatile oblige, évidemment !), et la plume est placée dans ce que l’auteur nomme la position verticale ou à face. Il définit celle-ci de la manière suivante : « lorsque son bec, justement adapté à la ligne horizontale, produit un plein parfaitement vertical, et un délié horizontal par son tranchant ». Les autres positions de la plume sont nommés oblique descendante, position horizontale ou de travers & enfin oblique montante.

Des Effets de la Plume

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Les effets de la plume
Dartiguenave, Les Effets de la Plume sont en raison de sa situation,
Planche 5e, détail, gravée par Dizambourg
Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

Dartiguenave énonce la chose simplement : « Les effets de la plume sont en raison de la position de son bec sur le papier« . Qu’ajouter de plus à cela ? !
Définir le terme d’effets peut-être ? Et bien, c’est ce que fait le maître en précisant qu’il s’agit de la « variété de grosseur et de finesse que la trace de la plume présente dans la courbe de l’O, etc. ». C’est l’heure d’aborder la notion de PLEIN & celle de DELIE chère à bien du monde !
Oui, seulement, notre cher maître nous réserve une plus grande subtilité !
Plein parfait, plein naissant, délié, plein finissant, plein parfait, plein naissant, délié ; nous venons de faire un tour complet !

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Effets de la plume
plein et délié
Dartiguenave, Dénomination des effets de la plume,
Planche 5e, détail, gravée par Dizambourg
Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

Du Mouvement

Pour conclure cette Première Partie, Dartiguenave nous offre cette phrase (surtout ses premiers mots !) qui m’a beaucoup parlé & que je vous livre ici :

Le mouvement donne l’existence à l’écriture ; c’est de la précision et de la facilité avec laquelle on l’exécute, que dépend la forme régulière de l’écriture, et ce qu’elle a de plus agréable et de plus séduisant.

Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

Dartiguenave distingue deux mouvements : celui des doigts et celui du bras.
Le premier mouvement est celui en usage lorsque l’on écrit des caractères mineurs, le second, de tout le bras, est aussi appelé « grand mouvement », et nous sert pour former les lettres capitales et les traits d’ornement.

Pour conclure cette première partie, l’auteur énonce trois obstacles que les « commençants » rencontrent, mais surtout les points pour parvenir à les dépasser :

  1. De la Souplesse de la Main
    Décontraction
    est ici le maître mot : « tellement libre que les muscles obéissent aux moindres impulsions de la volonté. Les mouvements ne doivent être ni précipités, ni brusques, ni interrompus, mais liés et continus. On ne doit imprimer à la plume qu’un degré de force modéré. »
  2. De la Légèreté de la Main
    « On doit poser l’avant-bras et la main très légèrement sur la table, afin que le mouvement s’opère avec plus de facilité. »
  3. Du Dégagement
    « Le dégagement est le mouvement que les doigts de dessous font de gauche à droite, en glissant horizontalement sur le papier, pour faciliter le transport de la main et de l’avant-bras. » En d’autres terme, c’est le fait que vous ne fassiez pas du sur place, et que vos lettres s’enchaînent sur la ligne, de gauche à droite. Sans dégagement, toutes les lettres se superposeraient au même endroit (pas très pratique pour se relire, hein ?!). Dartiguenave recommande de produire ce dégagement lors de certains tracés : la fin des pleins des lettres « m » par exemple, ou encore lorsque l’on trace le point du « i » ou la traverse du « t ». Il déconseille cependant de dégager la main lorsque l’on trace des lettres rondes ou des jambages courbés, ce qui nuirait à la continuité du geste.

FIN (de la première partie !)

Nous voilà parvenus au bout du périple que représentait la première partie de Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire, et pas des moindres ! J’aime plonger dans ces documents historiques car l’insistance qui est faite sur le corps, le geste, la main, tout ceci nous permet de nous sentir unis corps & âme à ces maîtres écrivains des siècles derniers.

Pour moi, cet ouvrage est une référence extraordinaire pour comprendre l’anglaise. Celle-ci y est traitée en parallèle de la Ronde, de la Batarde et de la Coulée. Nous pouvons ainsi en appréhender toutes les spécificités, mais surtout saisir tout le contexte d’écriture qui l’entoure. C’est ce qui sera abordé dans le prochain article, la Seconde Partie visant à étudier les caractères !

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Détail d’une planche écrite par Dartiguenave & gravée par Dizambourg (Source : Gallica)
Tecnographie ou Méthode raisonnée sur l’art d’écrire

Vous souhaitez en savoir plus sur la calligraphie anglaise, n’hésitez pas à consulter cet article !